Il y a en ce moment au musée d´Orsay une salle exclusivement dédiée aux dessins de Pierre Bonnard que l’on peut voir à l´exposition “Bonnard/Vuillard”, au beau milieu d’un ensemble de peintures et de pastels. Cette salle est riche d’enseignements puisqu’elle était vide de visiteurs lorsque Martin Basdevant et moi nous y sommes rendus la semaine dernière. Je veux dire que l’espace était déserté, que l’on fait manifestement un sort à cette part de son œuvre. Pourtant, si Bonnard était un coloriste extraordinaire - la chose est entendue - il était peut-être un valoriste encore plus remarquable. Les charmes et les audaces de ses teintes ont agi, paradoxalement, comme l’arbre qui cache la forêt de son œuvre en noir et blanc. Cependant que Matisse affirmait qu’un coloriste est reconnaissable à son emploi du crayon à papier sur une feuille. La chose est à prendre au sérieux.
Regardez un fusain ou un pastel de Martin Basdevant, vous y reconnaîtrez l’or Nabi qu’il a su récolter avec une rare réussite, et qu’il aurait délicatement fusionné à un certain expressionnisme américain. Mais on remarquera aussi son inclinaison vers le sublime, sa fascination pour les grandes étendues d’une nature vierge, en particulier son plaisir à fêter le fourmillement topographique d’un sol broussailleux, d’un chemin dans une vallée qui devient celui de sa peinture-même.
Car ce dessinateur est un peintre. A la fois lyrique et intimiste, il a réussi à développer son œuvre à l´abri du vacarme des klaxons, réactivant avec bonheur et singularité quelques beaux souvenirs pas encore tout à fait éteints par les musées.
“Pour le peintre, il ne s´agit pas de peindre le jamais vu, mais ce qui n’a pas été assez vu” écrivait Delacroix quelque part dans son journal.
Morgan Bancon, février 2017