L’œuvre qui se donne à voir ici est celle d’un jeune homme.
Né en 1987, Charles-Élie Delprat a 32 ans. Cette première exposition « solo » est donc le premier accord d’une symphonie que nous ne connaissons pas encore, et que j’ai hâte de découvrir - car il augure bien du reste.
Jeune, Delprat l’est, et sa formation s’est achevée récemment. Aussi il ne nous dissimule pas qu’il a des maîtres : Érik Desmazières, Jean-Baptiste Sécheret, Simon Vignaud, un peu plus lointainement Gérard de Palézieux, ou encore Hercule Seghers, le graveur-paysagiste du Siècle d’or néerlandais. Ni qu’il appartient à ce qu’on pourrait appeler une bande ou une école, comme tous les peintres l’ont toujours fait, depuis la Renaissance jusqu’aux disciples de Valenciennes, ou aux Nabis. Delprat s’est formé, a appris, a trouvé sa voie et sa voix, au sein de cette constellation que la galerie Documents 15 nous présente avec une fidélité admirable - je songe, par exemple, à l’exposition récente de Martin Basdevant. Mais une fois que l’on a dit que Charles-Élie Delprat est un jeune homme, qu’il a eu des maîtres, et qu’il semble appartenir à une école, on n’a pas dit l’essentiel. Oublions tout cela et regardons les œuvres - l’œuvre - que nous avons sous les yeux.
Qu’il grave ou qu’il peigne, Delprat représente ici avant tout des paysages. Ces paysages, il n’est pas allé les chercher, il ne les a pas choisis sur catalogue, il ne s’est pas mis à la recherche du bien nommé pittoresque. Ce sont les paysages, ordinaires, au milieu desquels il vit, ceux de ses séjours madrilènes, de ses retours en avion en France, de ses attaches familiales et affectives dans le Cantal ou en Touraine. Autrement dit, le fait de les peindre est pour Delprat une prolongation de sa propre existence, et ces paysages apparemment non spectaculaires sont connus de l’intérieur, médités, vécus, avant d’être transformés en œuvres d’art.
Un certain XXème siècle artistique s’est épuisé à croire que l’art ne devait être qu’expression, expression du Moi, de la subjectivité, de la petite signature formelle (la rayure, le monochrome, le graffiti). Delprat, lui, est présent dans chacune de ses œuvres, puisqu’il s’agit de l’environnement de sa vie. Mais il cherche moins à « s’exprimer » qu’à nous restituer le monde, et donc à le connaître. Architecte de formation, il sait la nature des sols, des matériaux de construction, des styles, qu’il représente. Il connait le nom des plantes, et l’origine des objets. Son travail est, de bout en bout, connaissance de ces paysages qu’il veut nous apprendre à regarder.
La connaissance du monde, telle est donc l’une des deux jambes sur lesquelles Charles-Élie Delprat s’avance vers nous. L’autre, c’est ce qui relève de l’art du peintre et dont il n’y a presque rien à dire. La sûreté du dessin, la maîtrise de la perspective, la rigueur de la composition, la beauté des accords de tons, la capacité d’expérimenter dans un médium vieux de cinq cents ans comme la gravure (voyez l’extraordinaire série de la Vallée de Mandailles ), ne se décrivent pas : ils se regardent.
Alors regardons.
Benjamin Olivennes, 2019